Paris, le 15 septembre 2015.
Il convient tout d’abord de noter que la rédactrice des présentes n’a aucune prétention, car ni compétence ni expérience, en culture de la vigne.
En revanche, elle a 35 ans d’activité en conseil, en gestion, en transmission et en liquidation de sociétés agricoles comme avocat, comme rédacteur d’actes et comme gérant professionnel de G.F.A/ G.F.V. ou de parts sociales.
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I. Le paiement de « dividendes » :
De nombreuses annonces, sites, interviews, etc….mentionnent le paiement aux associés des « dividendes » en nature, soit en bouteilles de vin.
Il convient tout d’abord de relever que les sommes perçues par les associés des G.F.A. / G.F.V ne sont absolument pas des « dividendes ».
Cette appellation, totalement impropre, favorise la confusion.
1°- Les revenus perçus par les associés des G.F.A./G.F.V. n’ont en aucun cas la nature de « dividendes ».
En effet, les « dividendes » sont les sommes distribuées par toutes les personnes morales soumises à l’impôt sur les Sociétés. (Par ex, voir « Droit-finances.net » ou Wiki)
Fiscalement, les associés des G.F.V. perçoivent des revenus qui ont la nature de revenus fonciers.
Toutefois ces revenus ne sont imposables qu’au niveau des associés. Les G.F.A./ G.F.V. ne sont personnellement pas imposables.
Ils doivent être déterminés selon le mode de calcul des revenus fonciers, par transparence du G.F.A./G.F.V. lui-même, soit recettes –dépenses déductibles fiscalement.
Le résultat fiscal est donc différent du résultat comptable.
En d’autres termes, si un G.F.A./G.F.V. décide de mettre une partie de son résultat en réserve, cette partie sera tout de même imposée au titre des revenus fonciers pour chaque associé.
Le résultat net comptable de chaque G.F.A./G.F.V. est réparti au prorata de la détention des parts sociales.
S’il n’est pas payé, il est inscrit au crédit du compte d’associé du titulaire des parts sociales.
2°- Utiliser le terme de « dividendes » dans des publicités ou des articles laisse penser, par amalgame, que le paiement en nature est légal.
Or, cet amalgame procède donc de deux confusions fallacieuses :
* les revenus des GF.A./G.F.V. ne sont pas des dividendes ; ils ne sont pas le service d’une part sociale mais la quote-part du résultat d’une société transparente, le G.F.A./G.F.V.
* les sociétés qui paient des dividendes avec des actifs immobilisés en sont propriétaires.
Or le G.F.V. n’est absolument pas propriétaire du vin qui est remis aux associés, soit disant en paiement de leur créance. De surcroît, il ne s’agirait pas d’un actif immobilisé mais d’un produit de son exploitation.
Le fermage des cultures pérennes comme le sont les vignes peut être payé en nature par le fermier, ou partie en nature et partie en espèces. (Article L.411-12 du Code Rural)
Il est payé en espèces à la société. On ne voit pas comment le G.F.V. pourrait détenir, ne serait-ce que juridiquement, des bouteilles de vin supposées ne servir qu’à sa consommation.
Les divers auteurs sont partagés sur la possibilité pour l’assemblée générale d’une société commerciale de proposer une alternative entre le paiement des dividendes aux associés en nature ou en espèces. Peu importe pour ce débat, les G.F.V. concernés font prendre la décision par l’assemblée, et leur mode de fonctionnement interne ne me concerne en aucune façon.
La C.A.V.B. de Beaune s’est prévalue de deux décisions de justice :
- « Cass. Com. 12 février 2008 » qui traite du non assujettissement aux droits d’enregistrement à titre onéreux du paiement de dividendes par la remise en nature d’un actif.
Il s’agit là principalement de savoir si la remise d’un immeuble en paiement d’un dividende constitue une « cession à titre onéreux » et donc taxable.
La Cour de Cassation répond par la négative au motif qu’il s’agit d’un acte unilatéral et non d’un contrat. Il s’agit là d’une décision purement fiscale.
Ce que le C.A.V .B. souhaite utiliser est :
« La décision de distribution de dividendes est bien un acte juridique unilatéral. La solution résulte clairement de la loi : l’article L.232-12 du Code de Commerce le met suffisamment en évidence qui donne à l’assemblée d’approbation des comptes une compétence propre pour décider de distribuer ou non des dividendes… »
Ce texte est naturellement sans le moindre rapport avec nos G.F.V. qui ne « distribuent » pas de « dividendes ».
Et il aurait fallu lire plus loin :
* « L’arrêt donne donc l’occasion de s’interroger sur les conditions de licéité de ce paiement en nature…
« Il y a dation en paiement lorsque l’assemblée générale décide la distribution d’un dividende en numéraire et que, dans un second temps, l’associé bénéficiaire accepte une modification de l’objet du paiement….(Cas de tous les G.F.V.)
* « Dans les sociétés commerciales, le texte applicable est l’article L.232-12 du Code de commerce.
Et lire également que ces articles du Code de Commerce ne sont pas applicables aux sociétés civiles.
- C.A. Paris 18 novembre 1953, dont il résulte qu’à défaut de disposition statutaire, l’assemblée générale ordinaire doit accorder aux associés une option à chaque « actionnaire » entre le paiement du dividende en numéraire ou l’attribution équivalente de titres.
Cette situation, là encore, est sans rapport avec notre cas : pas d’ « actionnaires », pas de « remise de titres », etc…
II. Procédure adoptée.
Au cas d’espèce des G.F.V. dits « investisseurs » et à ce qu’il semble, le secret des opérations étant mieux gardé que Fort Knox, le groupement établit sa comptabilité à partir de la somme versée par le fermier, et crédite ensuite le compte de l’associé de sa quote-part du résultat net, comptable et non fiscal.
Il achète ensuite éventuellement pour son compte les vins qui lui seront livrés - selon un mode de détermination du prix effectué en dehors de l’acquéreur final qu’est l’associé du G.F.V. - et paie pour le compte de l’associé acquéreur avec les fonds du G.F.V., montants qui sont ensuite débités de son compte d’associé.
Le compte d’associé fonctionne ainsi comme une sorte de ligne de crédit détenue par l’associé auprès du G.F.V.
Comme naturellement, les comptables -eux- savent bien que le G.F.V. ne peut pas acheter et vendre du vin (Interdiction de faire des activités commerciales et absence d’agrément comme entrepositaire …), ils font établir des factures par le fermier au nom des associés.
III. Quelques exemples simplement tirés des sites-internet :
(Toutes les structures citées n’ont pas le même statut : certaines initient leurs propres G.F.V. et les gèrent, d’autres travaillent en partenariat avec elles et les proposent à la commercialisation, en ne faisant que reproduire les plaquettes des fondateurs)
* Epargne en France :
« La perception de ces revenus peut se faire en numéraire, par attribution de bouteilles (en gras dans le texte), de vin au tarif propriétaire (bien malin qui sait ce que cela veut dire…) ou par mélange des deux … »
* G.F.V. – Saint-Vincent :
« Chaque année, il –le fermier- vous paiera « votre » (sic) loyer, appelé fermage, en argent et/ou en nature (bouteilles).
* SODICA (Crédit Agricole) :
« Le fermage qui doit :
…comporter un paiement en bouteilles : on définit au départ le nombre et la qualité des bouteilles livrées par part (On ne voit pas très bien comment, faute de connaître le résultat comptable). (?!)
* BACCHUS Conseil (S.A.F.E.R. PACA):
« Ce dernier (le vigneron) rémunère chaque actionnaire par un lot de bouteilles de vin issu de vignes du G.F.V. » ( !?)
* FINANSEMBLE :
« Les revenus, après déduction des frais de gestion et des impôts, sont distribués une fois par an, en loyers ou en bouteilles de vin de la propriété. » ( ?!)
* G.F.V.-enligne :
« Le fermage est en général versé en nature « bouteilles » (C’est le choix de la très grande majorité des investisseurs). ( ?!)
* ALTHOS Patrimoine :
« Vous avez la possibilité de percevoir « votre » (sic) loyer sous forme de bouteilles de vin.
P.S. Les mentions « ?! » signifient qu’en dehors de tout débat juridique les phrases utilisées sont absolument dépourvues de sens….et pour le dire nettement effrayantes.
Que ceux qui ont été, involontairement, oubliés, veulent bien me pardonner !
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En réalité, et selon mon analyse, les associés de ces G.F.V. n’encourent aucun risque à court terme : leur quote-part de résultat net est bien déclarée au titre des revenus fonciers. On espère en effet que les experts comptables de ces G.F.V. établissent les attestations annuelles et déposent les 2072.
Les exploitants non plus, puisqu’ils font bien des factures au nom de l’acquéreur final.
En revanche, les « gérants » improvisés de ces G.F.V. se comportent de manière irresponsable, comme entrepositaires ou courtiers en vin (deux activités commerciales par nature, et pour la 1ère soumise à agrément des Douanes- article 302 du C.G.I.), en tout cas, bien loin de leur mission qui n’est que de gérer une simple société bailleresse.
Ils prennent le risque de faire perdre à « leurs » G.F.V. la qualité de « G.F.A. bailleur » avec les conséquences fiscales qui en découleraient.
Cette perte serait de peu d’incidence sur chaque associé pris individuellement, le montant des sommes engagées étant en pratique assez modeste.
En revanche, tous ces initiateurs de G.F.V. prennent des risques, notamment personnels, pour se créer une petite niche basée sur une accroche mensongère et dangereuse.
Sylviane JACCOUX d’EYSSAUTIER.